L’un des aspects incontournables de l’ergonomie cognitive est la gestion de l’erreur humaine : minimiser l’erreur humaine en déployant des solutions optimisées aux capacités et limites de l’humain en s’intéressant notamment au traitement de l’information et aux processus cognitifs impliqués. Deux sujets touchés de près par cette problématique : la santé publique et les transports.
Samedi 8 août, midi. Je sors du nouveau centre hospitalier McGill, le CUSM. Mon père vient d’y opérer à coeur ouvert. Les avancées de la médecine nous permettent de faire ce genre d’opération avec moins de risque et plus d’aisance. N’empêche que c’est une opération sérieuse où un chirurgien ouvre le thorax d’un patient pendant au moins 5 heures, arrête le coeur et pompe le sang à l’aide d’une machine pendant au moins 40 minutes. Mon père ne se souvient plus de ces heures fatidiques, mais nous, sa famille, alors que nous étions dans la salle d’attente, nous avions le temps d’y penser. Un tas de choses aurait pu mal tourner. Heureusement pour nous, tout s’est déroulé sans heurt.
Après deux jours de veille à regarder l’état de mon père se stabiliser et enfin s’améliorer, je continuais à y penser en retournant chez moi. L’erreur humaine, surtout en milieu médical, ça existe. Parce que nous ne sommes pas des machines. Et au volant, nous sommes d’autant plus vulnérables. L’humain n’est pas le meilleur quand vient le temps de faire une tâche répétitive ou de surveillance. Notre seuil d’attention diminue au fil du temps. Il m’a suffi d’un moment d’inattention pour que je percute le camion devant moi sur l’autoroute. Une erreur humaine qui en a engendré une autre : la circulation s’était arrêtée brusquement, probablement parce que les voies convergent vers une seule voie, et je n’ai pas eu le temps de freiner suffisamment pour éviter la collision.
En 2015, j’ai du mal à comprendre pourquoi nous conduisons encore nos véhicules. D’une part, le transport collectif me permet d’optimiser mon temps à faire autre chose que consacrer mon attention à la route. Conduire est une activité sans valeur ajoutée et abrutissante. D’autre part, la conduite automobile fauche la vie de tellement de gens chaque année pour des tas de raisons : alcool, fatigue, stress, intempéries, textos, etc. Comme l’explique le designer Golden Krishna, l’industrie automobile semble échouer à faire des changements significatifs de design, ajoutant toujours plus de gadgets qui complexifient l’interface et augmentent le coût cognitif. Pourquoi placarder un écran tactile dans le tableau de bord si l’on doit aviser et sensibiliser l’utilisateur du danger potentiel à chaque démarrage ? Cette industrie répond à un besoin d’affaires, tout simplement. Le véritable changement ne peut que se produire plus haut, par des législations, comme le port obligatoire de la ceinture de sécurité. Avec un peu de chance, la voiture autoconduite fera partie intégrante de nos vies et conduire sera illégal d’ici 2030.
Encore en 2015, des gens meurent subitement d’un arrêt cardiaque sans symptômes pour semer le doute. Si vous êtes chanceux, comme mon père, vous aurez une douleur à la poitrine, une pression artérielle beaucoup trop élevée et peut-être même le souffle court pour sonner l’alarme des artères bloquées. Là aussi, il y a des enjeux d’affaires. Tant que vous prenez vos multiples médicaments pour la pression, le cholestérol et le diabète, tout le monde se porte bien. Alors que quelques pontages plus tard, vous voilà comme neuf. Parfois, la pression artérielle diminue au point où un médicament n’est plus nécessaire. Un régime alimentaire sain et quelques aspirines peuvent suffire à éviter le bistouri de nouveau. Pour ce qui est de légiférer, tant que le pouvoir est dans la cour des grands, pharmaceutiques ou assurances, c’est l’argent qui dicte les règles. Votre rendez-vous annuel chez votre médecin de famille ne permet pas de capturer toute l’étendue de votre santé. Au mieux, il pourra prendre un seul cliché, flatteur ou non, de l’ensemble du portrait. L’état de santé fluctue et plusieurs mesures dans le temps sont nécessaires pour comprendre les dynamiques sous-jacentes. La raison est simple : une régression linéaire requière un seuil minimum de données. Il est possible que la fenêtre qui correspond à votre prélèvement sanguin annuel n’est qu’une anomalie ou l’exception du tableau. Le corps humain est une machine où tout fonctionne en co-dépendance dans un équilibre fragile. Les sportifs et athlètes professionnels l’ont compris et font appel au biohacking depuis plusieurs années. Pourquoi attendre que les symptômes apparaissent pour consulter ? Ou pourquoi s’en remettre à une seule mesure par année pour construire un bilan de santé ? Avec de plus en plus d’objets connectés et de capteurs biométriques abordables sur le marché, on assistera à une démocratisation et une appropriation de notre santé. À ce propos, Peter Diamandis mentionne la disruption du système de santé dans son article The World in 2025: predicting the next 10 years.
Les sciences cognitives permettent de trouver des solutions à l’erreur humaine : la conscience de la situation (Situation Awareness), l’automatisation, la robotisation, les capteurs, le big data, l’intelligence artificielle, etc. En acceptant nos propres limites en tant qu’humain et en mettant nos scrupules de côté, on a l’opportunité d’améliorer la condition humaine.